« J’ai chevauché le multivers avec les dieux. J’ai été leur confident, leur conseiller, et parfois même leur indéfectible amant. Je les ai aidés et je les ai dupés. Ils m’ont chéri et terrassé. Mille fois je suis mort et mille fois ils m’ont vu renaître. Je suis devenu immortel.
A travers les millénaires l’on m’a donné plusieurs noms : le mage errant, Gogallkhan, le destructeur de monde, Mitryosse, le dément, La main de dieu, Lorendell, l’insondable … mais c’est Lokan que je préfère. Il me rappelle un vieux compagnon d’arme, Naamah, malencontreusement deux fois décédé par la perfidie d’un seul homme… Repose en paix mon ami.
Je suis né en ce monde qu’on appelle Athanor. Vous dire quand… n’aurait aucun sens pour vous ! C’est Avalon qui m’a vu naître. Maintes fois rasée, elle fut toujours rebâtie par l’opiniâtreté des Hommes. À cette époque, les flèches des châteaux dorés tutoyaient les nuages. Jeune apprenti d’un mage atteint par la folie, suite à la pratique de la nécromancie, je pris rapidement la route à travers les royaumes pour parfaire mon art.
Je ne compte plus le nombre de puissants mages, sorciers, druides et autres grands maîtres dont j’ai suivi les enseignements, jusqu’à l’ultime maîtrise, le Graal de tous les mages : la maîtrise du temps. La maîtrise du temps est sûrement la plus terrifiante des choses. À chaque utilisation, même parfaitement exécutée, elle crée une singularité dans le multivers. Entre les mains d’un fou ou d’un ambitieux, elle détruirait l’existence même du multivers… Je maîtrise le temps, mais ne le comprends pas… Qu’est-ce que le temps ? La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’aucun fou, ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans le futur, ne s’est instruit de ce savoir, car sinon, je ne serais pas là à écrire, et vous ne seriez pas là à me lire…
Oui, des dieux irascibles m’ont terrassé et me pourchassent encore… J’ai découvert le secret des dieux ! Ce secret, certains dieux le pressentent, mais aucun vraiment ne l’a conscientisé. Il fait en sorte partie de leurs instincts, sans jamais en faire surface. Je me rappelle bien de ce banquet présidé par Amalthus, jeune et arrogant dieu des prêtres d’Ourasmosse. Il y avait aussi à la table Nyxara, déesse du vent, Thalorine, un des plus anciens dieux des nains, et Seraphis, l’usurpateur, qu’on ne présente plus… Accompagnés de leurs progénitures semi-divines, semi-mortelles, tout ce petit monde ripaillait allègrement. Je ne sais plus exactement comment m’est venue cette question, mais elle fut reçue telle une flèche plantée dans leurs divins cœurs.
« Dites-moi, mes amis… Que se passerait-il, si d’un claquement de doigt, tous vos fidèles, tous vos adorateurs, disparaissaient de la surface d’Athanor ? Si, même jusqu’à votre nom, vous tombiez dans un total oubli ? »
Au-delà du récit de l’affrontement qui s’en est suivi, et qui a peu d’intérêt à être ici narré, la réponse me parut évidente : ces dieux disparaîtraient avec leurs fidèles. Les dieux sont créés par les mortels, et sont eux-mêmes loin d’être immortels, comme moi-même le suis devenu. Un dieu tire sa puissance des croyances du peuple… Plus il y a de croyants, plus il est puissant…
Mais si les dieux n’ont pas créé les peuples d’Athanor, qui l’a fait ? D’aucuns diront que nous vivons dans un rêve de dragon… Mais alors qui rêve le dragon ? Depuis le temps que je poursuis cette quête, je pense en être arrivé à la conclusion que moi, Lokan, ne suis pas à la hauteur de cette question. Quand cette entêtante question est sur le point de me faire perdre la raison, parfois, je monte au sommet de Sylvandell, en royaume elfique de l’Ouest, et alors longuement, j’écoute les dragons chanter… »
Lokan, issu des « Pensées philosophiques sur le trône », en l’année 3016 du Saint Empire Universel